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Subjectivité - Objectivité

- Reflexions et mise au point dans le cadre de l’étude de la spécificité du vivant

par Jean-Paul Gelin

Nous avons posé comme hypothèse de base que le vivant quel que soit le règne où on l’observe, n’est pas entièrement réductible aux lois de la physique qui régit la matière de façon mécanique, et pour laquelle, causes et effets sont parfaitement observables et mesurables.

Ce qui est actif pour élaborer la matière et lui donner une forme n’a pas été isolé jusqu’à présent ni mis en évidence d’une façon scientifique et communicable. Dans la nature végétale cette activité vivante se manifeste en général sans que l’homme intervienne directement. Quand celui-ci le fait comme dans l’agriculture, il le fait de l’extérieur en créant des conditions physiques différentes pour qu’une plante développe par exemple tel ou tel caractère. Dans le cas très actuel des OGM, cette intervention sur le vivant, bien qu’encore très approximative, reste extérieure. Il est assez clair qu’à première vue, dans de tels processus, tous les éléments peuvent être suffisamment objectifs pour affirmer qu’il n’y a pas de place pour la subjectivité. Ce qui voudrait dire que l’expérimentation ne dépend pas de celui qui la conduit.

Quand on observe les choses de façon plus approfondie, on peut constater que la question n’est pas aussi évidente. On remarque que certaines personnes réussissent mieux que d’autres dans leur intervention dans le monde végétal, on dit même que certains ont la « main verte ». Cet aspect semble s’accentuer quand on passe d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique et encore plus à l’agriculture bio-dynamique. On remarque que dans l’utilisation de cette dernière méthode culturale, certaines personnes ont de meilleurs résultats que d’autres. Il suffit d’évoquer la personnalité de Maria Thun pour faire la différence. Ceci indiquerait que le végétal doit être considéré aussi en relation avec son environnement considéré non plus du strict point de vue minéral, mais dans toutes ses dimensions macro et microscopiques vivantes elles aussi (aspects planétaires, micro-organismes du sol et des amendements, etc.). La relation extra ou supra-sensible de l’homme avec ces domaines, ici le cultivateur, serait peut-être à prendre davantage en considération. La relation patient-médecin qui semble aussi jouer un rôle prépondérant dans la thérapie anthroposophique n’est d’ailleurs pas entièrement rejetée dans le cas de la médecine allopathique classique (effet placébo).

Dans l’optique d’une démarche scientifique il faut bien distinguer ces 2 aspects du problème : celui qui peut-être objectivé (qui est indépendant de la personne opérante) et celui qui ressort de la personne qui le met en œuvre. La grande difficulté provient du fait que l’on ne maîtrise pas la relation subjective au phénomène que ce soit dans l’agriculture, dans la médecine, voire ailleurs. Toute étude sérieuse devrait, soit distinguer les deux aspects, ce qui est souvent difficile voire impossible, soit tenter d’éliminer le facteur subjectif, ce qui est bien plus facile mais avec la contrepartie d’appauvrir peu ou prou la réalité du phénomène. Scientifiquement, il serait nécessaire de commencer ainsi.

L’interchangeabilité de l’opérateur permettrait par exemple de minimiser son éventuelle influence. L’outil statistique apparaît alors indispensable pour faire ressortir ce qui est plus général par rapport au cas particulier pouvant relever de l’influence d’un opérateur. Cette question se pose dans le cas des méthodes morphogénétiques dites sensibles. La cristallisation cuprique et la morphographie capillaire mettent toutes deux en relation, en général des extraits d’organes vivants avec un support physique, dans le cadre d’une expérience dynamique, évaporation pour l’une, capillarité pour l’autre. Dans ce cadre il faut distinguer deux niveaux, celui de l’expérience proprement dite et celui de sa lecture et de son interprétation. En ce qui concerne l’expérience, il n’a pas été mise en évidence, jusqu’à preuve du contraire, lorsqu’on travaille dans des conditions strictement identiques, une influence de l’opérateur sur la morphologie du résultat obtenu. Du moins, on peut affirmer que si celle-ci intervenait, elle serait vraiment mineure par rapport à d’autres facteurs comme les conditions physiques de l’expérience, température, humidité, etc… On ne peut pas cependant affirmer qu’un jour, dans un certain lieu, une certaine personne ne pourrait pas avoir d’influence sur l’expérience. Simplement, ce cas de figure n’a pas encore été observé significativement. Le point de vue opérationnel et l’exigence de rigueur nécessitent que cet aspect soit éliminé.

En ce qui concerne la partie « description de l’image » obtenue dans ces méthodes, la plus grande objectivité est requise. C’est en effet la seule garantie d’une communicabilité du résultat. Ceci demande bien sûr que les critères descriptifs soient clairement énoncés. Dans ce domaine de grands progrès sont encore nécessaires afin d’aller vers une standardisation des critères descriptifs et surtout un vocabulaire commun recouvrant les même concepts. L’outil informatique peut être un auxiliaire précieux pour la définition de tels critères, pour leur reconnaissance, pour leur repérage, voire leur quantification. Nous dirons que ce côté descriptif de l’image possède un aspect analytique et que celui-ci doit devenir le plus universel possible.

Dans le pas suivant qui voudrait conduire à l’interprétation à partir de la description de l’image, les choses se compliquent. La perception globale de l’image, réunissant à la fois l’ensemble des critères descriptifs évoqués plus haut et leur agencement synthétique, fait appel chez l’observateur à des sens plus subtils qu’il n’est plus très facile d’objectiver. Il en va par exemple de la structure générale d’une cristallisation. Un travail important serait nécessaire pour caractériser ce que l’observateur perçoit en lui au contact visuel de l’image afin de le rendre objectif et donc communicable. Ce qui voudrait dire qu’un autre observateur attentif et entraîné puisse lui aussi percevoir en lui les mêmes aspects devant la même image. A ce stade il faut se garder d’en tirer déjà un jugement du genre : c’est une bonne structure, ou encore une mauvaise structure par exemple. Ce serait faire un saut illégitime car pour que ce jugement soit valable, il faudrait alors pouvoir se référer à des caractères bénéfiques ou néfastes résultant de l’utilisation de la substance que l’on a testée (meilleur santé et épanouissement de l’individu dans le cas de la nourriture).

En définitive, quelles informations pourraient nous apporter l’utilisation des méthodes sensibles ?

-  Sont-elles le moyen de reconnaître la présence ou l’absence d’une substance spécifique dans l’extrait organique testé ? Ceci n’a aucun intérêt car l’analyse physico-chimique est bien plus performante.

-  Sont-elles le moyen de reconnaître l’effet synergétique de plusieurs substances ou facteurs ou l’effet d’un processus dont la manifestation serait aussi visible directement sur la plante. Ces méthodes semblent bien caractériser ce caractère global des phénomènes et ceci peut se déterminer à partir de la recherche d’une simple corrélation statistiquement établie, entre critères morphologiques des images sensibles et effet visible sur la plante. Aucune subjectivité ne doit entrer en jeu dans un tel travail. Mais bien sûr quand l’effet recherché est visible directement sur la plante, à quoi bon faire un test sensible ?

-  Sont-elles le moyen de mettre en évidence des aspects cachés aux sens et dont on ne peut trouver la correspondance sensorielle extérieure ? Cela serait bien sûr le plus intéressant, mais dans ce cas la subjectivité risque d’intervenir alors abondamment ! Comment fonder la relation ou l’interdépendance, entre la morphologie de l’image et un aspect suprasensible par nature invisible aux sens ordinaires si ce n’est par la clairvoyance !

Une variante de cette même question serait l’aptitude de ces méthodes à la prédicibilité, dans le sens où elles pourraient montrer une qualité encore non objectivée par nos sens ou par l’analyse, mais qui pourrait se manifester plus tard de façon mesurable. On pense à des exemples dans le diagnostic précoce de maladies à partir de signes avant-coureurs présents dans les images sensibles et ceci avant que la maladie puisse être détectée cliniquement. Bien que dans le domaine médical (cristallisation sanguine) on puisse espérer de telles applications, la démonstration formelle n’en a pas encore été faite.

Relier ces méthodes à quelque chose qui n’est pas perceptible aux sens et dont on ne pourra jamais vérifier la réalité par quelque moyen que ce soit relève du pur délire ! Si c’était le cas, il faudrait vite arrêter tous ces travaux aussi inutiles que dangereux. Pour que ceci soit pris au sérieux, il est donc nécessaire que si, caractères non mesurables il y a, hypothétiquement révélés par les méthodes sensibles, on puisse constater et mettre en corrélation ceux-ci avec une influence dûment constatée par les sens ou la mesure, à plus ou moins longue échéance. Par exemple, si une population se nourrit de produits présentant des caractères morphologiques donnés et dûment répertoriés à travers les images sensibles, on puisse constater que la dite population développe corrélativement, à plus ou moins long terme, certaines caractéristiques observables (bonne santé, immunité, etc…). Ceci relève donc d’études de type épidémiologique. Ce serait la même chose dans le domaine du diagnostic prédictif médical.

Tout jugement dans le sens de bon, meilleur, moins bon, mauvais, qui serait réalisé à partir des caractéristiques morphogénétiques des images sensibles ne peut être validé que par des études épidémiologiques. C’est ce que nous avions déjà écrit dans une réflexion épistémologique sur le fondement scientifique de ces méthodes dans le cahier n°1 de l’Institut KEPLER.

Par ailleurs, rien ne nous autorise à affirmer que ces méthodes révéleraient la totalité de ces qualités hypothétiquement non sensibles. Il est fort probable qu’elles n’en expriment qu’une partie. L’utilisation conjointe de plusieurs méthodes sensibles ne donne pas toujours des résultats corrélés. D’autres méthodes prétendant elles aussi faire apparaître des caractères non sensibles (effet Kirlian , antennes de Lescher, etc…) pourraient aussi contribuer à révéler certains aspects apparemment cachés des choses.

Prenons un cas très concret et peut être plus simple à expérimenter : celui du vin. L’étude de style épidémiologique peut être menée sur le produit lui-même et en regard de lui seul, au moins dans une première phase. On reconnaît par exemple, un caractère morphogénétique spécifique dans les cristallisations de certains vins à un instant t1. Ensuite on constate que ces même vins ont la propension d’évoluer statistiquement de façon significative vers des caractères donnés et contrôlables de comportement et/ou de caractères organoleptiques au temps t2>t1. Si pendant ce même laps de temps, d’autres vins ne présentant pas ces caractères morphogénétiques n’évoluent pas de façon statistiquement significative vers ce comportement et /ou ces caractères organoleptiques, alors on pourra attribuer à ces caractères morphogénétiques un caractère prédictif et éventuellement porter un jugement sur ces divers vins à partir du test morphogénétique. Il reste néanmoins la question de savoir si une simple analyse peu coûteuse ne serait pas plus pertinente qu’un test sensible qui sera toujours plus onéreux.

Pour illustrer encore davantage cette problématique, prenons cette autre question : une image morphogénétique peut-elle caractériser une méthode de culture, par exemple la culture bio-dynamique par rapport à une culture biologique classique et servir de critère de reconnaissance de ce mode de culture ? Pour répondre, il serait nécessaire d’observer la corrélation statistiquement significative entre la présence de caractères morphogénétiques descriptibles et reconnaissables par quiconque dans les images sensibles réalisées sur des produits issus de ces deux types d’agriculture aux cahiers des charges bien définis et ces deux types d’agriculture. Les façons culturales sont à définir par un cahier des charges précis et les résultats doivent être indépendants d’autres facteurs, comme la saison, la nature du sol, la variabilité de l’application des méthodes culturales à l’intérieur du cahier des charges, ou le facteur personnel ou subjectif de l’agriculture, etc… En supposant que ceci soit établi et si la corrélation n’est pas réalisée à 100%, que faudrait-il penser de l’absence du marqueur spécifique par exemple de la bio-dynamie, sur un produit pourtant issu de cette culture ? Ceci voudrait-il dire que le cahier des charges a été mal appliqué, ou bien qu’un autre facteur comme l’un de ceux évoqués plus haut aurait été prépondérant ? On constate avec quelle prudence il serait nécessaire d’apporter une conclusion au test. On peut bien sûr penser que certaines plantes seraient plus aptes que d’autres à révéler un mode de culture. Ce serait à explorer. Que penser également de l’apparition des critères apparemment liés à la bio-dynamie sur des produits non issus de ce mode de culture ?

On voit qu’une question aussi simple ne peut certainement pas être résolue par de tels tests. Par contre, il est fort probable, et les travaux exploratoires de M.F. Tesson le montreraient, qu’on puisse retrouver des marqueurs morphogénétiques spécifiques semblables dans les images sensibles de produits issus de méthodes culturales fort différentes. On accède donc à des qualités qu’on ne peut juger en fin de compte en bien ou en moins bien qu’à partir de recherches de type épidémiologique.

Pour conclure, depuis ce nous avions écrit en 1991, il semble qu’il n’y ait pas encore de travaux sérieux montrant la corrélation statistiquement documentée, entre caractères morphogénétiques d’une image sensible et qualité spécifique d’une substance.

Quelques tentatives ont été conduites en médecine (Barth, Piva). Des travaux exploratoires importants comme ceux de M .F. Tesson, ou ceux de M. Aussenac ou de U. Balzer ou ceux conduits à l’Institut Kepler ouvrent des perspectives de recherche, mais la rigueur nécessaire à la validation de ces méthodes exigerait des moyens d’une autre envergure. Enfin, nous soulignerons que dans la voie qui conduit à cette validation, la standardisation de la description des caractères morphologiques des images sensibles et de leur aspect technique, constituent des difficultés majeures qu’il serait urgent de résoudre.