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l’émergence d’une Université du Vivant

par Pierre Dagallier

La connaissance du vivant est un élément culturel majeur de notre société. C’est à partir de l’image que l’on se fait des principes qui le régissent, que l’agriculture est pratiquée, que l’environnement est soigné, que la santé, humaine ou animale, est accompagnée. Notre conception du vivant se traduit donc en actes sociaux et économiques, et implique des décisions législatives pour leur régulation. La conception d’aujourd’hui fait des êtres vivants qui nous entourent des matériaux que l’on peut utiliser, manipuler, breveter. Des limites réglementaires sont posées si des excès sont décelés à postériori, éventuellement après que des gens se soient insurgés, ou que des catastrophes majeures se soient produites, pour autant que les inerties dues aux intérêts économiques en jeu aient pu être vaincues.

A coté de cette façon cavalière de se comporter avec le vivant, nombre d’initiatives existent dans les domaines de la santé humaine, de l’agriculture, de l’alimentation, ou simplement en regard de notre environnement naturel, qui veulent appréhender le vivant avec respect : elles s’ingénient plus à découvrir et encourager les processus que la vie met en œuvre qu’à vouloir les maîtriser ou les contrer. Pour leurs acteurs, le vivant n’est pas une construction mécanique complexe. L’agencement matériel, les causalités sont jugés insuffisants pour le comprendre : la « vitalité » en soi n’est pas écartée à priori, et même pour certains le « spirituel » agissant est une hypothèse de travail plausible.

Mais la réalité sociale fait que ce mouvement reste souterrain, ne bénéficie pas de reconnaissance officielle, n’a en général pas droit de cité dans les organes institutionnels de la société. La diversité qui le compose en fait un magma hétéroclite, où il bien difficile de se retrouver car, entre les expériences pertinentes et enthousiasmantes, parfois issues d’un renouveau de traditions passées, parfois complètement neuves, arrivent à se glisser celles plus aléatoires de certains prophètes illuminés, ou de vendeurs de poudres de perlimpinpin. La non reconnaissance de paradigmes nouveaux d’une part, le côtoiements d’attitudes peu claires d’autre part, pousse chacun à s’isoler pour mieux se démarquer, parfois en proclamant des vérités un peu trop hâtivement, au risque de se discréditer et de se marginaliser davantage !

Et pourtant, faire émerger une Université du Vivant, c’est-à-dire un « lieu » culturel de reconnaissance d’une façon digne, respectueuse, d’aborder le vivant avec lequel nous nous sentons en parenté est aujourd’hui indispensable : une autre culture du vivant doit voir le jour pour féconder les activités humaines, au cœur desquelles sont le soin aux hommes, à la terre, aux animaux, aux plantes… Les techno-logies sont issues d’une pensée seulement logique, qui oublie de s’étonner comme la science nous y invite en premier lieu. Puisque c’est logique, l’homme n’y est pour rien : çà se passe sans lui, il n’y a pas à remettre ce développement en cause ! Remplacer ces technologies devenues parfois mortifères lorsqu’elles sont appliquées au vivant, par des techniques humanisées –on pourrait dire moralisées, ou choisies en conscience- demande une co-naissance nouvelle avec le vivant, donc un lieu d’exercice, de développement, de lisibilité de cette connaissance pour l’instant éparpillée ou en émergence.

Des obstacles à surmonter :

Vaincre ce cercle vicieux d’isolement de chacun dans ses particularismes, c’est rassembler une diversité très grande, c’est reconnaître à travers celle-ci quelque chose de commun, un lien et une considération au vivant qui dépasse les éventuelles chapelles d’appartenance. Car le vivant est aussi diversité, multitude, mais pourtant caractéristique commune à des milliards d’êtres. Chacun d’eux est révélateur d’un point de vue qui contribue à un éclairage global ; c’est cet éclairage global qui peut féconder la société tout entière. Dans cette quête, le premier obstacle est la pensée unique car les préjugés de toutes sortes empêchent d’être à l’écoute de l’altérité. Il demande pour être vaincu une qualité à cultiver : l’ouverture d’esprit. Le deuxième obstacle, qui en découle est le doute permanent, qui mène à la raillerie de l’autre. Il demande pour être vaincu l’ouverture du cœur, la capacité d’entrer en empathie. Cette qualité se fera jour si un discernement collectif devient possible et sûr, car il permettra d’aborder l’autre en confiance. Le troisième obstacle à vaincre est l’attentisme engendré par la peur : peur du changement, de la perte de pré-carrés… l’ouverture de la volonté d’agir est là indispensable, la mise en action tournée vers l’avenir en sera le moteur.

Ces trois obstacles sont à la fois en chacun de nous mais sont aussi culturels : nous avons tous appris à avoir raison, à nous méfier des différences, à s’accrocher à nos acquis… Ils sont cependant de précieux instructeurs pour mener à bien l’émergence d’une future université du vivant. L’association PEUV qui s’est donné comme objectif d’activer cette émergence, doit pour avancer proposer une méthode et un cadre qui soient réellement innovants et puissent créer les conditions pour vaincre ces obstacles.

Pour le premier obstacle par exemple, lors du séminaire PEUV autour de la relation Hommes Plantes qui s’est tenu en décembre 2009, et dont une deuxième édition aura lieu au printemps 2011, nous avions posé au départ des règles basées sur l’écoute active, l’attention bienveillante, l’authenticité des échanges, afin que les participants se rencontrent réellement, que les préjugés éventuels tombent, que chacun soit pleinement accueilli dans son originalité, et que réciproquement chacun soit fécondé par un éclairage inédit du sujet commun.

Pour le deuxième obstacle - la méfiance- il est indispensable de clarifier les apports de chacun :
-  qu’est-ce qui relève d’hypothèses de travail, parfois farfelues, parfois intelligemment composées, mais qui appartient uniquement à leur auteur, que je peux respecter mais suis libre de ne pas faire miennes,
-  qu’est-ce qui relève de l’expérience transmissible (au moins dans sa description car il s’agit parfois de vécu) qui relève de faits transparents (si étonnants soient-ils !) que je peux admettre comme élément de la réalité,
-  qu’est-ce qui relève de l’application pratique avec éventuellement des intérêts (économiques le plus souvent) qui y sont liés et peuvent en influencer l’interprétation scientifique et le jugement moral. Cette triple distinction amène de facto un discernement partageable collectivement, qui permet d’accueillir avec confiance et sans retenue chercheurs et expérimentateurs. Ceux-ci bénéficient alors ainsi d’un retour sur leur expérience. De plus, ces faits apportés comme des cadeaux au pot commun peuvent aussi alimenter une réflexion commune sur des questions de pure connaissance-conception du vivant d’une part, sur des questions de choix éthiques, d’autre part.

Cette séparation interroge et permet une connexion à partir de laquelle se tisse une connaissance commune, enrichissante pour tous, à l’abri des excentricités comme des académismes rigoristes, et forge en fin de compte la crédibilité indispensable à une reconnaissance à venir de cette co-naissance.

Le troisième obstacle est tenace ! Bien sûr que la peur est due à une insécurité, inhérente à la conception sociale et économique qui s’incarne dans la lutte pour la vie ! Elle nous rattache aux acquis du passé, nous paralyse sur l’avenir. La perspective de co-construction d’une Université du Vivant prend en considération les apports de chacun, dans toutes leurs spécificités, et les « améliore » à l’aune d’un regard collectif. C’est un gage d’implication possible et met chacun en « pouvoir » sur un avenir réellement participatif, qui sécurise et donne confiance et courage plus qu’appréhension et peur.

Accueillir sans préjugés, organiser le discernement, et permettre une construction participative de la future université du vivant est l’engagement indispensable des initiateurs et de ceux qui veulent se lier au projet. C’est une méthode à créer, qui doit s’exercer, et se forger en avançant. La rencontre humaine authentique est au cœur de ce processus, qui s’enrichira, se corrigera, s’améliorera au fur et mesure de l’apport d’un nombre croissant de participants. La forme ainsi co-construite est aussi importante que le fond qui est travaillé : c’est la créativité collective qui est toujours à solliciter, en se mettant à l’écoute de ce que la société veut aujourd’hui, et qui demande une nouvelle connaissance du vivant.

juin 2011